Cette histoire est couronnée de chance, de coïncidences, et/ou de hasard. Un jeune sportif vient découvrir l’imagerie mentale et se retrouve à réaliser l’impensable la veille de sa saison de Coupe d’Europe.
Léo est un sportif que je suis depuis quelques années en préparation physique. Nous avons commencé la préparation mentale à sa demande, et ce que j’aime dans sa démarche, c’est cette curiosité dont il fait preuve. Si les sportifs de haut niveau peuvent parfois se rassurer dans des routines, dans des cadres étroits, Léo est de ceux qui aiment explorer. Bien évidemment, il ne s’agit pas d’aller se perdre dans l’espace-temps !
À son initiative, nous avons commencé la préparation mentale dans un but de développement des habiletés, et non pour (comme souvent) commencer une « réparation » mentale. En effet, les sportifs prennent souvent rendez-vous dans les moments de doutes, lorsque la confiance est au plus bas, ou pour revenir au meilleur niveau après une blessure. Ce n’est pas le cas de Léo, qui voit dans la préparation mentale une opportunité d’améliorer sa concentration, d’apprendre à utiliser d’autres méthodes, en tout cas de cibler celles qui lui correspondent le mieux.
Je crois beaucoup en l’imagerie mentale (IM). Si les sportifs parlent souvent de visualisation, il ne faudrait pas résumer l’IM à cela. Notre cerveau est en mesure de simuler des mouvements mentalement, mais aussi des odeurs, des saveurs, des sensations, par exemple. Travailler en IM, c’est donc exploiter différentes modalités, en proposant au sportif celles qui pourraient l’aider à être encore meilleur. Imaginez que l’on puisse proposer à notre cerveau de « rajouter » des applaudissements, des encouragements, juste mentalement. Encore faut-il y croire, n’est-ce pas ?
Oui, il faut y croire, mais notre cortex plonge souvent dans ces représentations mentales. C’est prouvé, parfois un peu détourné commercialement, exagéré, mais prouvé quand même. Certaines études montrent que l’on peut progresser en force juste en s’entraînement mentalement à simuler une contraction musculaire. Il faut bien évidemment nuancer les résultats parfois, rien ne remplacera jamais la pratique. Pourtant, c’est un bon complément, voire même la possibilité pour un sportif de gagner quelques degrés de mobilité pendant une rééducation par exemple.
Léo est donc venu avec la ferme intention de jouer avec cet outil. Comme souvent, je lui ai parlé des différentes études sur le sujet, une petite sélection variée et intéressante. Et puis aussi de mes propres expériences, mes propres tests. Notre cerveau est capable de se représenter mentalement un geste. Une question se pose alors : si le geste n’est pas suffisamment maîtrisé mentalement, peut-il nous conduire à un mauvais apprentissage ?
J’ai proposé à Léo de faire un petit test, très simple à mettre en place. Il suffit de s’assoir confortablement, de mettre ses mains devant soi, coudes pliés, à environ 5 cm l’une de l’autre (les coudes ne doivent pas toucher les jambes). Ensuite, je demande aux sportifs d’imaginer que leurs muscles se contractent pour rapprocher les deux mains. Imaginer, vraiment tout donner, en fermant les yeux. En général, j’observe les doigts qui se rapprochent petit à petit, jusqu’à se toucher. À ce moment précis, les sportifs, tous, ouvrent les yeux avec un brin de stupéfaction. Certains auront reconnu une méthode utilisée en hypnose, mais n’allons pas encore sur ce terrain. Le constat est le suivant : en imaginant une contraction musculaire, on constate qu’un mouvement se crée, plus ou moins rapidement d’ailleurs.
Revenons à nos nerfs ! Le cerveau envoie des informations nerveuses aux muscles, donc les innerve, et enclenche une contraction, plus lente, mais réelle. C’est en tout cas ce que je dis aux sportifs, que c’est juste nerveux, normal, et que si je mettais des électrodes dans leur cerveau, je verrais une activation électrique pendant l’imagination du mouvement. Ce petit test sert d’introduction pour de plus grandes expériences grandeur nature !
Si certaines thématiques se travaillent dans un bureau, bien d’autres peuvent être approfondies sur le terrain. Mon objectif était de montrer à Léo les possibilités de l’IM. J’ai lui ai donc demandé de réaliser un exercice simple : atteindre une cible avec un ballon ; une tâche d’ailleurs très éloignée de son sport ! J’en ai profité pour lui parler d’une étude qui montre que l’apprentissage mental en basket avait été démontré sur des enfants : le groupe qui s’entraîne à tirer réellement progresse, celui qui ne fait rien ne gagne rien, celui qui s’est entraîné uniquement mentalement progresse aussi (dans une moindre mesure malgré tout). Le contexte est donc posé, on va voir si Léo est capable de s’entraîner à viser cette cible d’une trentaine de centimètres de diamètre.
Au début, on s’entraîne en réel, Léo envoie vraiment le ballon. Puis on commence à alterner des simulations motrices mentales. À vrai dire, il ne se sent pas très à l’aise dans cet exercice, et même en réel les tirs manqués sont bien présents ! Mais ce qui est sûr, c’est que dans sa tête, la petite expérience des mains qui se rapprochent et cette étude sur des enfants en basketball sont bien présentes. En bon sportif de haut niveau, il a envie de réussir, ça se sent, et il est appliqué. C’est souvent dans ces moments que je savoure le plus leurs qualités exceptionnelles. Travailler avec ces brillants sportifs, c’est un régal absolu !
Nous faisons quelques dizaines de répétitions, d’abord à 3 mètres de la cible, puis à 5 mètres. Dans ma tête pourtant, je n’ai qu’une obsession : booster sa confiance en lui. C’est ça, le haut niveau, chercher cette petite différence, en permanence, appuyer sur les bons leviers. Je le place à 15 mètres de la cible. Dans la salle, certains sportifs réalisent leur séance de musculation avec un air amusé. Léo a quand même quelques regards curieux sur ceux qui l’observent. La consigne est simple : « tu fais autant de répétitions mentales que tu veux, et quand tu es prêt tu vises la cible, les yeux fermés ».
Cette fois, pas de tirs d’entraînement réels, et la distance est impressionnante pour quelqu’un qui n’est pas habitué à tirer avec un ballon. Bien sûr, je ne sais pas ce qu’il va se passer. À vrai dire, je n’ai rien prévu. Après coup, je me suis demandé ce que j’aurais dit, comment j’aurais réagi si… si Léo n’avait pas atteint la cible en plein centre ! Je me souviens de cet instant si incroyable. Il se prépare, ferme les yeux, arme son bras, lance le ballon, a le temps d’ouvrir les yeux (d’où la distance suffisamment grande) pour voir la trajectoire de son tir, et constater que le projectile lancé les yeux fermés arrive en plein dans le mille !
Je me rappellerai pendant un long moment son visage, de l’expression qu’il a eue. De mon côté, je me souviens aussi de mes pensées : « tu as eu de la chance ». Voilà ce que je me suis dit. Mais attention, ce n’est pas Léo qui a eu de la chance, c’est bien moi ! Plusieurs fois, j’ai tenté de me projeter dans la situation où le ballon n’aurait pas atteint la cible. Aurais-je demandé à Léo de retenter ? Comment aurais-je rebondi ? Je ne sais pas, car dans ma tête, il allait forcément réussir, et je reste persuadé qu’il l’a senti.
La saison de coupe d’Europe est arrivée. Il a remporté le classement général. Il serait cependant bien prétentieux de dire qu’avoir tiré avec un ballon sur une cible à l’entraînement lui a permis de réussir sa saison. En fait, je n’ai jamais pensé ça. Mais ce qui est sûr, c’est que ce moment a contribué à lui donner confiance en lui, pleinement, à un moment clé.
Enfin, lui seul a su utiliser cette méthode de l’IM, dans son sport, où l’inconnue et l’apprentissage jouent un grand rôle, y compris en compétition. Ce sont bien les sportifs qui réalisent les performances, et ils ne doivent rien à personne.
Ce qui me plaît dans mon métier, c’est de participer à quelques réussites, de près ou de loin, en appuyant sur des leviers à l’image d’un enfant curieux de savoir « ce qu’il pourrait se passer si ». Quand on conduit une Ferrari, on a déjà de quoi aller vite. J’ai peut-être fait briller un peu plus sa voiture à ce moment-là. Pas de quoi changer fondamentalement le résultat. Heureusement, on ne le saura jamais. Ce qu’on sait, c’est qu’il a gagné :-).