Vous allez comprendre dans les lignes qui suivent que le mental tient parfois à peu de choses… et que, comme on le dit, la meilleure cachette pour l’évidence, c’est l’évidence elle-même.
Voilà donc que Bastien, très bon joueur de tennis au niveau national, vient me voir pour avancer sur ce qui lui empoisonne la vie depuis quelques mois. Très préparé physiquement, excellent techniquement, cela fait plusieurs fois qu’il perd tous les points importants, toutes les balles de set, toutes les balles de match… ce qui peut évidemment rendre sa pratique bien moins intéressante ! Et comme notre cerveau tend à tirer des conclusions hâtives, tout devient une évidence : « je vais encore perdre cette balle ».
À première vue, on pourrait déjà ressortir nos bonnes vieilles thématiques sur le stress. On pourrait envisager un travail sur la respiration, la confiance, le relâchement, la décontraction. Sauf que tout ça, il peut le trouver dans des tutoriels sur Internet. Bien loin de moi l’idée de dénigrer ces outils, ils sont essentiels, mais puisque tout se trouve sur la toile, à quoi bon prendre rendez-vous avec un préparateur mental ?
Un exercice d’imagerie mentale un peu trop facile ?
Bastien est donc arrivé avec ça : mettre un terme à cette mauvaise série. Le préparateur mental n’étant pas un magicien, il doit bien faire comprendre au sportif qu’il va devoir s’entraîner mentalement ! Ce serait trop simple de rentrer dans les cerveaux, et dangereux. Comme pour chaque sportif je lui ai demandé quels outils il avait utilisés pour avancer, ses « bidouilles », ses expérimentations. Voire même s’il avait déjà travaillé avec quelqu’un : autre préparateur mental, entraîneur, oncle, ami, etc. Souvent, avant de prendre rendez-vous, un sportif a déjà tenté d’avancer de son côté ! Et quand ça ne fonctionne pas comme il le souhaite, il appelle. Ce n’est donc pas le moment de lui ressortir le coup du relâchement et de la décontraction, en général déjà exploré…
Voici donc ce que je lui ai proposé, sorte de « feeling », une intuition qui me disait « vas-y, explore de ce côté-là ». Je lui ai demandé s’il avait en tête un point récemment gagné, et pour lequel il était au service (à défaut, il est possible d’en inventer un mentalement). L’idée était de trouver une situation qui dure une quinzaine de secondes. Sans donner d’autres consignes, je lui ai proposé de revivre ce point mentalement, juste en fermant les yeux. À la fin, je lui ai posé cette question : « tu as gagné le point ? » Je me souviens encore de son regard, me prenant pour le plus grand des imbéciles ! Comment aurait-il pu perdre, puisque je lui ai demandé de choisir un point gagnant ?
Nous avons continué l’expérience. J’ai fait évoluer mentalement la visualisation, en lui demandant de se concentrer davantage sur la balle, sur sa couleur par exemple, pour la rendre plus visible. « Tu as gagné le point ? » Sa réponse a légèrement évolué : « oui, d’ailleurs, ça me semblait plus facile ». Troisième répétition mentale, se focaliser sur le déplacement de son adversaire. « C’était encore plus facile ».
Quand on commence à perdre ce qui était gagné
Petit arrêt sur image maintenant : après la toute première visualisation, Bastien avait deux options.
1 Me prendre pour un imbécile sur toutes les variantes qui allaient suivre.
2 S’attendre à ce que je le prenne à contrepieds, et donc que je le fasse perdre.
J’ignore quelle option j’aurais préférée, mais ce qui est certain, c’est que l’évolution des répétitions mentales a écarté les deux cas de figure. D’une part, il n’a pas perdu mentalement. D’autre part, c’est même le contraire, puisqu’il a eu l’impression de gagner plus facilement l’échange !
Autre évolution, je lui ai demandé ensuite de se concentrer plus particulièrement sur le poteau gauche du filet. Déjà, j’ai constaté une durée plus longue de la répétition mentale. « Tu as gagné le point ? » « Oui, mais c’était plus compliqué ».
Enfin, sans me douter de sa réponse (mais en l’espérant fortement !), je lui ai proposé une dernière situation mentale : se concentrer précisément sur son avant-bras. Il a tenté de visualiser l’échange, plusieurs fois. Mais le constat était le même : impossible de gagner.
Petit apport théorique très simple sur les champs attentionnels
Que pouvons-nous tirer comme conclusion ? Bienvenue dans le monde de la concentration, ou plus exactement des champs attentionnels. Que se passe-t-il quand tout va bien, à l’entraînement ou en compétition ? Le cerveau fait ce qu’il a à faire. Tout se déroule de la meilleure des manières. Mais quand le moindre doute se pointe, on ne fait plus confiance à ce virtuose. Nous sommes pris dans un piège, et sans en connaître le mécanisme il est impossible de s’en sortir seul. La thématique des champs attentionnels est passionnante !
Peut-être que certains d’entre vous ont eu le malheur de voir marquer sur leurs bulletins scolaires « n’est pas concentré ». Peut-on vraiment ne pas être concentré ? Sur le cours, sur l’enseignant, oui, assurément… mais sur un oiseau qui passe, des passants qui discutent, sur un nuage qui file, voilà où va notre attention. On est toujours concentré sur quelque chose, l’idée étant de cibler ce qui est important. Si vous levez les bras en pensant avoir remporté la course à deux mètres de la ligne, vous risquez de vous faire « coiffer » au dernier moment. Il existe donc quatre possibilités.
1 Externe étroit : votre attention se porte sur l’environnement extérieur, sur un point précis : par exemple un drapeau qui indique l’orientation du vent.
2 Externe large : votre attention se porte sur l’environnement extérieur, dans une globalité : un paysage, l’horizon par exemple.
3 Interne étroit : votre attention est portée « en vous », dans votre corps, sur un point précis : c’est notamment le cas de la prise de pouls.
4 Interne large : votre attention est portée « en vous », mais dans une globalité : une sensation de bonheur, le trajet de l’air dans votre corps par exemple.
Détourner l’attention de quelqu’un d’autre
Pouvons-nous être vraiment concentrés sur deux choses en même temps ? N’est-ce pas justement ce qui est reproché aux hommes de ce monde ? Je ne m’étendrais pas sur le sujet ! Ce qui est sûr, c’est qu’il est difficile de se concentrer sur deux choses à la fois quand elles sont coûteuses mentalement. C’est le fameux exemple du téléphone au volant, non ?
On peut le mettre facilement en évidence sous forme de jeu en préparation mentale : demandez à deux sportifs de se faire des passes à deux ballons (ils se croisent), tout en comptant de 100 à 0 en retirant 7 à chaque fois. En général, rapidement, soit les ballons tombent, soit le calcul est faux (et ça peut aller très vite !).
Le travail des champs attentionnels est très important en préparation mentale, et beaucoup de méthodes s’en servent abondamment. Quand votre enfant se fait mal (ou il croit s’être fait mal), vous tentez forcément de détourner son attention pour qu’il oublie la douleur. Et ça fonctionne souvent, les larmes s’arrêtent ! Sauf que nous avons du mal à rester des enfants. Quand un adulte a mal quelque part, non seulement il n’arrive pas à détourner son attention, mais pire, il se focalise encore plus dessus. On appelle cela un cercle vicieux.
Retour de service gagnant
Dans cet exercice d’imagerie mentale avec Bastien, l’idée était d’explorer certains champs attentionnels, notamment en externe et en interne. Il joue bien, très bien même. Parce qu’il s’est entraîné pendant des années, parce qu’il a de l’expérience, son cerveau sait remporter des points. Il sait passer inconsciemment d’un champ attentionnel à un autre, de la balle à l’adversaire, d’une sensation à une pensée positive. Imaginez seulement le nombre d’informations qui nous arrivent en une seconde ! Pas forcément visuelles ! Le cerveau est donc extraordinaire, il est en mesure de faire le tri, de cibler, de sélectionner.
Mais pas toujours… Tout ce que fait Bastien, si bien, quand il ne stresse pas, semble s’effondrer au moment de conclure un point important. Et évidemment, il porte son attention sur une pensée négative (interne large), ou sur une sensation désagréable, une douleur éventuelle, etc. Ce qu’il ne fait jamais pour les autres points ! Si une bonne respiration, une bonne visualisation peuvent grandement aider à se calmer, à « faire le vide », cela peut aussi amplifier cette focalisation en interne au moment de servir.
Bastien doit donc apprendre à reprendre la main sur son cerveau : d’abord, se concentrer sur la balle, par exemple, son rebond, le lancer, etc. C’est un effort à faire, un travail analytique aussi, on appelle cela l’entraînement, non ? Plus on arrive à passer volontairement d’un champ à un autre, plus on sait déjouer le piège du cerveau.
La concentration dépend donc de tout ça : la direction de l’attention, et la capacité que nous avons de maintenir cette attention pendant suffisamment de temps. Bien sûr, l’alimentation joue un rôle important parce que le cerveau fonctionne principalement avec du glucose, et il ne peut pas le stocker en grande quantité ! Dans les activités qui demandent une forte concentration, nous devons lui apporter cette énergie. Évidemment, l’entraînement nous permet aussi d’y parvenir.
Savoir passer d’un champ à un autre, voilà un beau challenge, mais suis-je capable de rester suffisamment longtemps là où j’ai décidé de porter mon attention ? Tout est bon à prendre, à condition de respecter quelques règles de sécurité. Étant musicien dans l’âme, l’un de mes exercices préférés est de me focaliser par exemple uniquement sur la basse d’une musique, le plus longtemps possible. C’est bien là tout mon problème, depuis mon enfance j’écoute la musique, et jamais les paroles, du coup je ne retiens rien parce que mon attention se porte « ailleurs ». Depuis que je me force à écouter les mots, notamment en anglais, je progresse énormément. Même si… je me laisse vite distraire par un piano, une guitare, un saxophone…
Les distracteurs en préparation mentale
On ne peut pas parler de concentration sans évoquer les distracteurs. Vous devez les identifier ! Quels sont ceux qui vous perturbent, qui vous font perdre vos moyens ? Comment tout faire pour les éviter ? Pour les écarter ? Que ce soit un parent, votre coach, un phénomène météorologique, une sensation de tomber malade… pour chaque distracteur, le travail consiste à trouver des solutions pour minimiser ou supprimer leur impact.
J’encourage toujours les sportifs à lister leurs distracteurs, et nous travaillons dessus pour les éliminer, ou pour modifier la représentation qu’on en a : certains ont « la pression » du regard de l’entraîneur. Peut-être finalement qu’en compétition c’est lui qui a la pression pour son poste, bien plus que vous. Et au fond de lui, il vous encourage bien plus qu’il ne vous juge à cet instant !
En conclusion
Ce qu’il faut retenir de tout cela, c’est qu’il faut faire confiance à notre cerveau. Cependant, quand il se met à paniquer, nous avons la possibilité de le rassurer, de « reprendre » la main, de le guider. Bien sûr, il faut s’entraîner, et cette thématique doit être largement traitée, au plus tôt. Cela demande de la disponibilité mentale, de l’énergie, mais vous en apprécierez les effets. Par exemple, dans une salle d’attente, la facilité nous conduit à porter notre attention sur notre téléphone portable. C’est en tout cas ce que nous propose notre cerveau. En connaissant le mécanisme des champs attentionnels, pourquoi ne pas profiter de ce moment pour porter son attention ailleurs ? Ces moments d’attente sont de véritables pépites pour s’entraîner.
Tout cela peut paraître étrange, mais notre cerveau aime ça : observer, ressentir, forcer d’autres points de vue. Les champs attentionnels sont partout. Vous voulez rester accroché au présent ? Concentrez-vous intensément sur une sensation, l’air qui passe dans vos narines, l’endroit de votre corps le plus frais, essayez d’amplifier tout ça. En fait, tout est possible. Certains restent en permanence dans des idées noires, réagissez ! D’autres, comme certains enfants, fixent intensément les gens qui les entourent, captivés. Nous avons le pouvoir de décider. Tout le temps, ou presque.